ARTICLE : "La biopiratrie..." par Yves Jeanclos (AA43)
"La biopiraterie Une fiction conceptuelle au XXIe siècle"
Yves JEANCLOS
Au XXIe siècle, la Biodiversité est au cœur des problématiques du développement durable d’une part et des enjeux industriels d’innovation d’autre part, ouvrant la voie à la biopiraterie.
Selon une définition de travail, la biopiraterie est l’accaparement illégitime de la biodiversité, des Ressources Génétiques (RG) et des savoirs- ou connaissances traditionnels associés des populations (CTA), sans leur consentement.
La biopiraterie et l’insécurité humaine au XXIe siècle
La biopiraterie reflète la transformation du champ stratégique mondial, délaissant le domaine du nucléaire militaire pour entrer dans le champ de l’alimentaire civil. La biopiraterie souligne l’évolution de l’insécurité humaine, délivrée de la stratégie de la peur militaire mais désormais soumise à la stratégie de la peur alimentaire. Elle impose l’appropriation voire la destruction des ressources naturelles indispensables à la vie humaine en tant qu’arme véritable menaçant la survie des populations. Elle est en effet une menace pour la sécurité humaine, tout spécialement pour les habitants des Etats faibles détenteurs immémoriaux de ressources génétiques convoitées par les industries des Etats riches qui en manquent cruellement.
La biopiraterie, au XXIe siècle, s’exerce sur tous les continents, principalement en Afrique et en Amérique du Sud, en se lançant à l’assaut des ressources génétiques détenues par des communautés humaines autochtones. Elle conduit à la confiscation des ressources génétiques de quelques 380 M d’habitants en 2018 de pays du Sud titulaires de 90 % de la biodiversité et des ressources génétiques de la planète. Elle facilite le dépôt par les industriels du Nord de 97 % des brevets d’invention portant sur les plantes et leurs molécules aux qualités alimentaires, pharmaceutiques, cosmétologiques ou semencières espérées et exploitées. La biopiraterie est clairement une menace pesant sur l’avenir alimentaire et sécuritaire des populations autochtones habiles à conserver, gérer et exploiter leurs ressources naturelles depuis des temps immémoriaux.
L’importance économique de la biodiversité
L’expansion du commerce pour l’alimentation humaine de plantes, de fruits et de légumes au XXIe siècle est liée à leurs supposées et médiatiques propriétés bienfaitrices pour le genre humain- en 2018 un accroissement d’ouvertures de nouvelles surfaces commerciales biologiques est programmé en France métropolitaine : 70 magasins Biocoop et 10 nouvelles enseignes La Vie claire. Elle est dynamisée par une appétence culturelle nouvelle en faveur d’un commerce qualifié d’équitable, c’est- à- dire qui profite directement à la fois aux producteurs et aux consommateurs.
L’engouement pour les compléments alimentaires est révélateur des soucis de santé et de la volonté des êtres humains de se préserver des maladies et des douleurs corporelles. L’attrait croissant pour des gélules renfermant des extraits de plantes et pour des huiles dites essentielles répond à la crainte éprouvée face à des produits pharmaceutiques d’origine chimique aux effets redoutés et parfois inverses à ceux attendus. La satisfaction espérée n’est peut- être pas toujours au rendez- vous, du fait du véhicule sanguin d’une part et de l’élimination corporelle rapide des bienfaits de l’alimentation d’autre part.
La demande de cosmétiques utiles à l’entretien, à l’embellissement du corps humain et à la lutte contre le vieillissement croît avec la pollution climatique et la recherche de produits naturels. Elle est la conséquence de l’incitation commerciale pour des crèmes apaisantes ou regénérantes, des savons liquides et des parfums issus de laboratoires chimiques mais parfois susceptibles de créer des réactions néfastes pour le corps. Elle manifeste la volonté de nombreuses personnes d’utiliser des cosmétiques aux substances issues de la biodiversité. Une telle demande est bien comprise par les industriels de la cosmétique, qui suppriment de leurs compositions le parabène, les acides et les produits artificiels supposément dangereux. Elle entraîne à son tour la course aux molécules naturelles pour les spécialistes de la cosmétique qui trouvent là un créneau de développement commercial porteur de réussite financière. Elle précipite le face- à- face asymétrique entre des sociétés multinationales avides de réussite économique et de candides autochtones détenteurs de plantes aux précieuses molécules.
L’inscription des plantes et tout spécialement celles des territoires français d’Outre- mer dans la pharmacopée française et européenne est l’étape primordiale pour recourir aux ressources génétiques et à leurs bienfaits pour l’être humain. Cette formalité est d’autant plus importante que les territoires concernés renferment des plantes endémiques aux molécules convoitées qu’il convient de connaître, de protéger et de valoriser. Elle permet de reconnaître la validité médicinale et thérapeutique de certaines plantes, au grand dam des biopirates privés de conquêtes végétales et de leur valorisation industrielle.
Origines réalistes des molécules juridiques concernant l’exploitation de la biodiversité /années 1970
Peut- être la biopiraterie n’aurait- elle jamais existé sans la survenance de deux évènements majeurs apparus au tournant des années 1970.
La biopiraterie trouve son essence dans l’émergence du tout nouveau droit national de l’environnement conduisant à la création du Ministère de l’Environnement en 1971, à la publication du Code de l’Environnement en Septembre 2000 et à l’insertion de la Charte de l’Environnement dans le bloc de constitutionnalité en 2005. Elle rencontre ses limites dans le droit international de l’Environnement, dans la dynamique du Sommet de Rio, avec la publication de la Convention sur la diversité biologique en 1992.
Elle doit également son existence aux premières prises de paroles collectives et publiques des communautés autochtones originelles d’Amérique du Nord dans les années 1970. Elle est interpellée par les revendications portant à la fois sur les territoires arrachés à leurs ancêtres par des traités inégaux et sur les droits d’exploitation et de rémunération y attachés- l’eau pour l’hydroélectricité et l’approvisionnement hydrique des grandes villes, les forêts pour le bois de construction, les mines pour les industries de transformation. Elle est mise à mal en particulier par des traités et accords signés entre l’Etat fédéral du Canada et des populations autochtones, à l’instar de l’accord de 1992 créant au 1er Avril 1999 le territoire fédéral du Nunavut étendu sur plus de 2M km2 de terres et d’eau pour la population des 36 000 Inuits du Nord du Québec.
Origines terminologiques dérivées
L’identification terminologique en la forme apparaît en 1993 lorsque Pat Roy MOONEY, membre de la Rural advancement fundation international, déclare lutter contre les actions prédatrices de groupes industriels internationaux face à la biodiversité, actions qualifiées d’actes de biopiraterie.
L’identification de la biopiraterie au fond est le résultat d’une mise en parallèle avec la piraterie maritime immémoriale.
La biopiraterie vise les biopirates, rappelant la lutte des cités grecques de l’Antiquité contre les pirates, c’est- à- dire contre ceux qui détournent les bateaux, s’emparent avec violence et volent les marchandises trouvées à bord et parfois même tuent l’équipage et les passagers. Elle apparaît indirectement dans la loi du 10 Avril 1825 pour la sûreté de la navigation et du commerce maritime qui condamne les pirates à la réclusion criminelle à perpétuité pour les capitaines de navires et à 10/ 20 ans de la même peine pour les membres de l’équipage agissant « …en haute mer (ou) dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat ».
La biopiraterie contemporaine s’est certainement réjouie trop rapidement de l’abrogation de la loi de 1825 par la loi du 20 Décembre 2007. Face à son renouveau dans la Corne de l’Afrique, le Golfe de Guinée, le détroit de Malacca et le Golfe d’Aden, la biopiraterie est combattue par la marine militaire et par le législateur. Elle est visée par un nouvel outil répressif, la loi du 5 Janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’Etat en mer. Ses auteurs sont l’objet de sanctions définies par le Code Pénal aux articles 224-6 à 224-8-1, qui en profite pour fustiger et condamner à la même peine de 20 années de réclusion criminelle ceux qui détournent des aéronefs.
Selon la Convention sur le Droit de la mer (1982) Montego Bay, article 101, a : « (La piraterie consiste en) tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire, agissant à des fins privées, et dirigé contre un autre navire ou aéronef ».
Il existe un véritable et étonnant transfert de terminologie, de la mer vers la terre, de la piraterie maritime vers la piraterie des productions matérielles terrestres (RG) et immatérielles intellectuelles (CTA) : la biopiraterie.
Pour ne plus être la cible de la biopiraterie, les Ressources Génétiques mériteraient une protection internationale par l’UNESCO en qualité à la fois de biens culturels matériels- les terres et les plantes in situ, et de biens culturels immatériels- les connaissances et savoirs traditionnels associés à des applications pratiques en médecine, agriculture, alimentation et cosmétiques. Les ressources génétiques et les savoirs traditionnels associés pourraient figurer dans le classement UNESCO du patrimoine mondial naturel et immatériel, pour mieux protéger les ressources naturelles indispensables à la vie humaine et habiles à maintenir la sécurité humaine.
Face à l’accaparement de la biodiversité, des RG et des CTA, des interrogations se manifestent d’une part sur la dynamique prédatrice de la biopiraterie et d’autre part sur les limites imposées aux biopirates par les défenseurs de la biodiversité.
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